28 mars 2024

Elisa, saute-moi au cou

Prenez votre carte d’identité, regardez votre deuxième prénom, souriez, vous tenez votre prochain billet.

Élisa, jusqu’où peut-on remonter pour te trouver ? Où te retrouver ?

D’abord, vers ma grand-tante paternelle de qui tout semble naturellement découler : les prénoms, les maisons, les photos, les bijoux, l’histoire familiale, tout. Le pilier, La Marraine. Je pense aux pauvres généalogistes du futur qui ne trouveront sur sa tombe aucun de ses prénoms, mais uniquement son surnom. Il leur en faudra de l’imagination.

Point d’Élisa donc sur le tombeau, ni sur aucun autre tombeau familial d’ailleurs. Peu de chances de le trouver en effet car Élisa ne se porte et ne se portait toujours qu’en 2ème ou en 3ème prénom. Comme si personne ne semblait vouloir l’attribuer simplement et franchement à un enfant.

Photo Monique Pascalina
Les dernières « Élisa »

Élisa est mon deuxième prénom et son troisième prénom. Décédée en 1991, ma grand-tante a-t-elle su un jour de qui il provenait ?

Remontons. Ses parents ? Thomy NATIVEL et Anne Marie Eugénie LAMY qui sont également mes arrière-grands-parents. Ce n’est pas ça. Je pense tenir une piste pourtant du côté de mon arrière-grand-mère, Anne Marie Eugénie LAMY.

Voyons sa fratrie :

Liste noms fratrie LAMY
Source : Heredis

Ainsi, les deux sœurs ainées de mon arrière-grand-mère s’appelaient Élise et Marie Élisa. Encore une histoire de tantes ! Ce qui est intéressant, c’est que Marie Élisa LAMY décède trois mois avant la naissance de ma grand-tante justement. Je pense tenir le bon bout.

Marie Élisa LAMY

Marie Élisa LAMY est née le 29 juillet 1851 à Saint-Louis (Réunion) de Pierre Émile LAMY et de Marie JUDITH. Mmm… Des esclaves ? Des libres de couleur ? Nous n’en sommes pas encore là.

Marie Élisa LAMY épouse ensuite en 1873 toujours à Saint-Louis un certain Pierre Jacques BAILLIF dit « Levitan ». Un énorme point d’interrogation subsiste sur ce surnom.

Ledit Levitan son époux est le fils naturel de Marie Joséphine BAILLIF. Qui est son père ? Peut-être tout simplement Pierre Jacques NATIVEL dit Villerose que sa mère épousera quelques années après sa naissance avec rédaction et signature d’un contrat de mariage et tout et tout. Pierre Jacques n’est cependant pas reconnu comme le fils de Pierre Jacques dans l’acte de mariage. Il porte donc à vie le nom de sa mère.

À noter aussi que les pinceaux s’emmêlent toujours entre les NATIVEL et les LAMY. À leur mariage en 1873, Marie Élisa est âgée de 22 ans et Levitan, de 19 ans. Il exerce la profession de régisseur. Une petite définition s’impose : « le régisseur était chargé d’administrer des biens, de régir et de gérer un domaine pour le compte d’un propriétaire. »

Chose pour le moins étonnante, ils décèdent tous les deux en 1900, à trois mois d’intervalle. Elle avait 49 ans et lui, 46. Le lieu de décès de ce petit couple qui m’apparaît alors bien sympathique interroge tout autant que leurs dates de décès. Ils meurent tous les deux en leur « maison sise à l’établissement de Messieurs Colson et Cie au lieu dit le Gol ».

Au départ, je pensais qu’il s’agissait tout simplement de l’usine sucrière du Gol à Saint-Louis. J’ai d’ailleurs trouvé rapidement des camps d’hébergement installés autour de l’usine.

Photo foyers hébergement le Gol Saint-Louis
Camps d’hébergement de l’usine du Gol (1950(1960). Collection : « Syndicat des fabricants du sucre ». Fonds privés Jean Legros (1920-2004).
Source : n° d’inventaire 5P2.2007.JL.SFS.17 http://www.ihoi.org

Mais Léon COLSON était également Directeur de la Compagnie du CPR (Chemin de Fer et du Port de La Réunion) et Président de la Chambre d’Agriculture de 1898 à 1905.

Mon sentiment est que Lévitan BAILLIF était régisseur sur une exploitation de champs de canne à sucre appartenant à COLSON, sur laquelle travaillaient à l’époque beaucoup d’indiens engagés de tous âges (comprendre adultes et enfants).

Carte postale Etablissement du Gol
Carte postale. Établissement du Gol à Saint-Louis . Source / N° d’inventaire : 5FI19.8 http://www.ihoi.org/

Pour vous faire une idée de COLSON:

Photo COLSON
Colson, son aya et son chien (1902-1906). Fonds Virgile Gaston Bidel, directeur du chemin de fer de la Réunion (100 Fi).
Source : N° d’inventaire 100FI38. http://www.ihoi.org

Mais revenons un peu à Marie Élisa qui accouche d’un fils nommé Joseph Edelbert BAILLIF en 1874. Ce dernier se marie en 1900 avec Cécilia BIGOT pour finalement décéder 5 mois plus tard, le 7 septembre 1900 très précisément. Sa profession ? Employé. Son lieu de décès ? Je pense que vous l’avez deviné : « Établissement de Messieurs COLSON et Cie au lieu dit le Gol ».

Voilà une famille emportée en l’espace de 4 mois en 1900 par je ne sais quel mal, de quoi laisser des traces dans les mémoires. Pourtant, bien que les prénoms aient été transmis aux générations suivantes (Marie Élisa, Joseph Edelbert), l’histoire reste muette sur les causes du décès.

L’anthropologue et historien, Gilles GÉRARD évoque un certain nombre de fléaux ayant touché l’île au cours des siècles. Les maladies comme les hommes arrivent par la mer et en 1900, c’est une épidémie de peste qui sévit, principalement au nord semble-t-il. L’Établissement du Gol, lui, se situe dans le sud de l’île.

On ne peut pas non plus négliger d’autres maladies. Le paludisme semble faire des ravages depuis quelques décennies au point de devenir endémique. Alors comment savoir quel mal a frappé la famille LAMY en 1900 ? Peut-être qu’on ne peut pas.

Au fait, je ne vous ai pas dit mais Marie Élisa avait une tante… Une certaine Anne Marie Éliza LAMY, mariée à 15 ans et décédée à 16. Mais là, c’est encore une autre histoire 🙂

Sources :

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Jourdavant

Généalogiste amateur originaire de l'île de la Réunion

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5 réflexions sur « Elisa, saute-moi au cou »

  1. Lévitan = Nativel à l’envers. Son père était peut-être un Nativel. 😉 Je demande toujours aux personnes de la famille si elles savent pourquoi leurs parents leur ont donné tel ou tel prénom. On découvre parfois un ami, ou une personne de la famille qui était proche, et parfois c’est juste un prénom à la mode. XD

  2. Mais oui c’est ça ! 🙂 C’est NATIVEL car sa mère Marie Joséphine épouse en 1859 un certain Pierre Jacques Nativel, soit 5 ans après la naissance de Levitan en 1854. J’ai pensé que c’était son père, car ils portent tous les deux les mêmes prénoms : Pierre Jacques. Mais Levitan, je n’avais pas fait le lien 🙂
    Par contre, je ne comprends pas pourquoi le père ne l’a pas légitimé au mariage… Peut-être était-il marié déjà en 1854 ? Je n’ai pas encore fait de recherches plus poussées sur ce Pierre Jacques NATIVEL.

  3. Effectivement, Pierre Jacques NATIVEL s’est marié en 1ères noces en 1841 avec une Marie (pas de nom de famille, parents inconnus), ancienne servante esclave du sieur Barbarin, affranchie en 1831. Chose encore plus étonnante : au mariage, il avait 25 ans et elle, 60 ! Heredis s’est affolé, 35 ans d’écart, il n’aime pas lol.

    Quelle mouche a pu piquer un jeune homme de 25 ans pour épouser une affranchie de 60 ans ?!

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