28 mars 2024

#RDVAncestral #Généathème : la dernière minute

Le 3ème samedi du mois, Guillaume Chaix @grenierancetres nous invite à prendre place dans une capsule temporelle et à partir à la rencontre de l’un de nos ancêtres pour capturer un instant de sa vie. Ce voyage dans le temps est basé sur des faits historiques mais laisse nécessairement une part importante à l’imagination. Toute ressemblance avec des personnes et des situations ayant existé est donc purement volontaire !

Extrait plan Saint-Paul
Saint- Paul, Île Bourbon / plan levé et dessiné par Estienne CHAMPION, 1719.

Aujourd’hui 1er janvier 1729, dans la maison de Gilles Fontaine au Vieux Saint-Paul à l’île Bourbon, je regarde la mort en face.

L’homme de 50 ans est allongé sur son lit, il a le visage et le corps couverts de vésicules depuis plusieurs semaines. Ses journées sont ponctuées de poussées de fièvre, de douleurs, de nausées et de vomissements. Il est quasiment aveugle maintenant. Peut-on imaginer pire souffrance et pire mort ?

Je ne détourne pas le regard, sa femme Françoise non plus. Elle souffre du même mal de toute évidence, mais elle tient encore debout. Tout près de lui, elle l’apaise et elle prie. Peut-être aurait-il souhaité la présence d’un prêtre ? Mais aucun n’est disponible. Depuis quelques temps, la maladie emporte les jeunes et les moins jeunes, les puissants et les esclaves, les pieux et les pêcheurs, les bons et les mauvais, sans distinction aucune. Les curés en sont réduits à bénir les morts en masse dans les paroisses. Mais peut-être que Gilles Fontaine n’aurait pas souhaité en voir un après tout ? Il a toujours été catalogué parmi les « mauvais sujets » de la colonie.

Je me rapproche de son lit, je me rapproche de sa vie passée. Et quelle vie ! Un livre n’y suffirait pas. Au moins aura-t-il vécu suffisamment d’aventures extraordinaires pour emplir ses dernières pensées de cet océan bleu et déchaîné, de ces paysages grandioses à Madagascar, la grande terre maternelle, de l’anglais de ses amis forbans sur la chaloupe de Bowen, de tous ces moments exaltés que beaucoup lui jalousent ? Ses rêves de voyage alimentés dans son enfance par les récits de son père se seront réalisés. Il n’a aucun regret.

Carte voyage Gilles FONTAINE
Carte extraite de l’ouvrage « Deux siècles et demi de l’histoire d’une famille réunionnaise 1665-1915 Premier volume Jacques et Gilles Fontaine les aventuriers 1664-1729 » par Jean-Claude Félix Fontaine « 

Ces 5 années en mer l’auront marqué de façon indélébile. À cet instant dans son lit, a-t-il oublié toutes ses péripéties dans l’Océan Indien ? A-t-il pardonné le torrent de boue du gouverneur sur sa famille à son retour dans l’île ? S’est-il fait pardonner auprès de ceux qu’il a blessés ?

Tout cela ne semble plus avoir d’importance pour Gilles à ce moment précis. Trois de ses frères et sœurs sont morts de la maladie entre avril et mai 1729, sans oublier ses beaux-frères, ses belles-sœurs, ses neveux et nièces. C’est une hécatombe pas seulement pour la famille Fontaine qui perd 15 de ses membres mais aussi pour toute la colonie. Les enfants et les esclaves de Gilles sont quant à eux mis à l’abri dans les hauteurs de l’île pour éviter la contagion. Eux au moins seront sauvés.

Gilles est maintenant serein, c’est le petit moment de calme après la tempête de la vie. C’est sa dernière minute, son dernier moment.

Sources :

« Mémoire pour service à la connoissance particulière de chacun des habitans de l’Isle de Bourbon » par Antoine BOUCHER, suivi des Notes du Père BARASSIN, collection Mascarin, 1989.
« Deux siècles et demi de l’histoire d’une famille réunionnaise 1665-1915. Premier volume Jacques et Gilles Fontaine les aventuriers 1664-1729 »  par Jean-Claude Félix FONTAINE, L’Harmattan, 2001.
http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/
http://gallica.bnf.fr

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Jourdavant

Généalogiste amateur originaire de l'île de la Réunion

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4 réflexions sur « #RDVAncestral #Généathème : la dernière minute »

  1. Encore une rencontre terrible et passionnante pour le RDVAncestral. C’est toujours une belle surprise de lire ces billets qui nous transportent à l’île Bourbon.

  2. Une façon plus « intime » d’évoquer l’épidémie de variole de 1729 dont tu avais déjà parlé sur le blog. Bravo ! Et quelle belle trouvaille ce titre.

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