28 mars 2024

#RDVAncestral : Emmanuel

Le 3ème samedi du mois, Guillaume Chaix @grenierancetres nous invite à prendre place dans une capsule temporelle et à partir à la rencontre de l’un de nos ancêtres pour capturer un instant de sa vie. Ce voyage dans le temps est basé sur des faits historiques mais laisse nécessairement une part importante à l’imagination. Toute ressemblance avec des personnes et des situations ayant existé est donc purement volontaire !

Illustration Pondichery
Pondichéry, XVIIIe siècle. Vue des magasins de la Compagnie des Indes, de l’amirauté et de la maison du Gouverneur (Lorient, musée de la Compagnie des Indes). Cette vision, fantaisiste, est destinée à rassurer les investisseurs.

Comptoir français de Pondichéry, 1678.

Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec Emmanuel, l’homme providentiel.

Sous un ciel orange vif, Emmanuel TECHER passe en revue les 14 femmes qu’il a choisies pour embarquer avec lui sur le navire « Le Rossignol » à destination de l’île Bourbon. Il ne semble prêter aucune attention à ma présence pour l’instant. Il s’inquiète surtout de la santé de ces femmes et de ces jeunes filles. J’oubliais c’est vrai, Emmanuel TECHER est ce que l’on appelle un maître chirurgien et il semble mener là sur le port une véritable inspection sanitaire.

Je l’interromps cependant pour m’enquérir de l’âge des filles dont certaines me paraissent âgées de 6 ou 7 ans. D’un geste las, il me répond :

— Peu importe ! D’ici quelques temps, elles seront en âge de se marier !

À n’en pas douter, si Dieu existe, il est avec Emmanuel. L’homme sera accueilli comme un roi à son retour des Indes. Son projet ? Celui de marier ces 14 jeunes indiennes et indo-portugaises aux colons déjà installés sur l’île Bourbon. Autant vous dire qu’il est attendu comme le Messie et il en a bien conscience. Il se doit d’être le plus scrupuleux qui soit.

Non sans fierté, Emmanuel me présente donc les 14 élues : Francoise DOS ROSARIOS, Dominique ROSARIOS, Domingue ROSARIOS, Catherine Mise PEREIRA, Monique PEREIRA, Andrée TEXEIRA, Marguerite TEXEIRA, Ignace TEXEIRA, Thérèse HEROS, Catherine HEROS, Geneviève MILA, Félicie VINCENTE, Sabine RABELLE, Louise FONSEQUE

Voilà donc qui devrait en partie expliquer la présence de populations asiatiques dans les résultats de mes tests ADN.

Pourcentages ADN

Emmanuel semble captivé par les explications que je lui bredouille au sujet de ces recherches d’ADN.

— ADN ? Drôle de mot ! En tout cas, moi je suis peut-être né en Inde, mais sache que mes parents sont portugais, de Porto plus précisément. Tu devrais peut-être aller chercher là-bas tes racines, me lance-t-il.
— Oui mais j’ai quelques autres priorités avant Porto, lui dis-je timidement.

Il s’étonne que lui ET toutes les filles auxquelles il fait face aujourd’hui se trouvent être mes ancêtres.

— Tes 14 grands-mères, te rends-tu compte ?! Et moi ton ancêtre, c’est encore plus drôle ! On ne se ressemble en rien !
— Les trois femmes TEXEIRA sont-elles de ta famille ?

Il sourit sans un mot. Lui non plus ne m’aidera pas à y voir plus clair. Manuel TEXEIRA DA MOTTA dit Emmanuel TECHER, Indo-portugais né à Pondichéry vers 1666, a-t-il ramené avec lui ses sœurs ? Ses cousines peut-être ? Combien sont-ils en tout dans cette famille installée en Inde ?

Toutes ces informations non sourcées qui circulent sur Internet sont-elles fiables ? Comme une malédiction, les registres de Pondichéry mis en ligne sur le site des ANOM débutent en 1676, soit 10 ans trop tard déjà. Quand ça ne veut pas…

Il rit de bon cœur. Je ris avec lui. J’aime bien Emmanuel au fond et je suis certaine que dans la colonie à l’époque, tout le monde l’aimait bien. Sauf le gouverneur Antoine BOUCHER bien sûr, mais personne n’a jamais vraiment trouvé grâce à ses yeux, ou si peu…

— Que dit-il encore de toi cet Antoine BOUCHER ? Ah oui j’y suis : « Est un Portugais des Indes, mulâtre, âgé de 43 ans, glorieux et fainéant, comme le sont ordinairement tous les Portugais. Il a cependant eu assez bonne éducation. Il sait lire, et écrire, et ne dessine pas mal. Il sait même quelque chose du latin, et se mêle un peu de la chirurgie, et de la médecine, qu’il se persuade savoir à fond. La vérité est qu’il ne saigne pas mal, mais c’est ce qu’il sait de mieux ; il est assez bon menuisier, et charpentier, point ivrogne, et fort dévot; mais avec cela d’une avarice, qui approche de la juifrerie, et grand diseur de pas grand chose, faisant le bon discoureur »

Il continue de rire aux éclats :
— « Grand diseur de pas grand chose ?  »

Il rit de plus belle. Il se fiche éperdument du Gouverneur, comme beaucoup dans la colonie d’ailleurs.

Nous rions et nous rions encore.

— Je te remercie du plus profond de mon cœur Emmanuel, pour ta bonne humeur et… pour la diversité. À bientôt, je saurai te retrouver, tu as encore tant à m’apprendre.

Sources :

« Mémoire pour service à la connoissance particulière de chacun des habitans de l’Isle de Bourbon » par Antoine BOUCHER, suivi des Notes du Père BARASSIN, collection Mascarin, 1989.
http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/
http://www.indeenfrance.com/reunion.php/2009/11/25/l-arrivee-des-premieres-indiennes-sur-l-ile-bourbon

 

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Jourdavant

Généalogiste amateur originaire de l'île de la Réunion

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11 réflexions sur « #RDVAncestral : Emmanuel »

  1. Tu aurais dû saluer Emmanuel Texeira de ma part. Qui sait j’irai peut-être lui rendre visite. 🙂
    Je ne connaissais pas cette illustration représentant Pondichéry, et j’ai été frappée de la ressemblance avec ce que j’ai vu lors de mon passage là-bas en 2015. Bien sûr tous les bâtiments ne sont pas encore debout …
    Antoine Boucher utilise le terme « mulâtre », ce qui à l’époque signifiait qu’il était né d’un parent blanc (très probablement son père puisqu’il porte un nom portugais) et d’un parent noir. Sa mère était donc peut-être indienne. Malheureusement cela sera difficile de savoir.
    Intéressant le résultat des test ADN, avec quelques surprises quand même: NorthEast Asian et Native American. 🙂 Je parlerais des miens dans un prochain billet.

    1. Il semble que la mère d’Emmanuel soit une nommée Catherine Douair…mais alors pour son origine ? Le nom a dû être francisé. Je ne me remets toujours pas du « Native Américan »…tu as ça aussi dans tes résultats ?

  2. Non, pas de « Native American » chez moi. Mais je n’ai pas testé chez avec la même entreprise. Ce qui veut dire que la population de référence et la méthode d’estimation sont différentes. Quand même content d’avoir une lointaine cousine Squaw. 🙂

  3. Ces bateaux me transportent à Pondichéry où je retournerai avec plaisir. Et là je penserais très fort à tes récits extraordinaires que l’on ne peut comprendre que grâce à ta généalogie si bien racontée.

  4. Bonjour !

    Je compte également Emmanuel Techer parmi mes ancêtres favoris. C’est un personnage qui me tient à cœur et j’aimerais naturellement étoffer son histoire, particulièrement la période de sa vie en Inde. Sans vouloir vous contredire avec des certitudes, j’aimerais discuter de certains points que vous évoquez dans votre récit.
    Au sujet de la parenté de Manuel Teixeira, le cercle généalogique de Bourbon a enfin admit qu’il y avait confusion avec un certain Manuel de Mattos né de parents portugais de Porto. Manuel Teixeira serait quant à lui de parents inconnus mais toutefois enfant de père portugais et de mère indienne si l’on s’en tient à sa condition de « mulâtre » ou « métis des indes » décrite par ses contemporains.
    Quant à ses voyages de l’Inde à la réunion on peut signaler celui de 1678, à bord du Rossignol en provenance du comptoir de Surat en compagnie des femmes Teixeira. Je doute qu’il soit à l’initiative du projet de marier ces femmes aux colons car il n’aurait alors que 12ans. Un second voyage depuis Pondichéry que je n’explique pas, est également enregistré en 1681 à bord du Soleil d’Orient. Il serait cette fois ci seul et agé de 15ans, ce qui me semble toujours trop jeune pour jouer l’entremetteur.
    Concernant une éventuelle parenté avec ces femmes, je n’ai aucune preuve de lien fraternel ou filial avec Andrée Teixeira qui aurait l’age d’être sa mère, en considérant qu’il est bien arrivé avec elle. Cependant ces femmes Teixeira sont né à Daman (comptoir portugais) alors que Manuel Teixeira est né à Pondichéry de l’autre coté de l’Inde (comme l’indique son acte de décès), dans ce qui n’était alors pas un comptoir français. Il n’y a d’ailleurs rien qui justifie sa naissance à cet endroit puisque le lieu n’est pas encore connu comme une plateforme de commerce…

    Je mène actuellement mes recherches du coté des comptoirs portugais à proximité de Pondichéry, notamment celui de Porto Novo où j’ai trouvé la trace d’un Manuel Teixeira Pinto, riche commerçant, armateur et Capitào-Môr (commandant local) du port, ayant vécu au milieu du XVIIème siècle. Il m’est pour l’instant impossible de rattacher notre ancêtre à ce personnage mais je poursuis mes efforts.
    Il est troublant de constater dans les descriptions d’Antoine Boucher, que Manuel a reçu une éducation assez complète (lecture, écriture, dessin, latin ect..) à une époque où l’alphabétisation est peu répandu. C’est pour moi le signe d’une situation sociale et financière aisée durant son enfance, c’est pourquoi j’ai tendance à rejeter l’hypothèse d’un enfant naturel, mais bien d’un couple indo-portugais installé dans l’un des comptoirs.
    Ce n’est pas un cas de figure rare, si l’on se fit aux statistiques, la ville de Madras plus au nord que Pondichéry comptait environ 100 000 personnes à la fin du XVIIème siècle, dont 8 à 10 mille métis indo-portugais. Je crois que c’est dans l’une ces communautés que l’on doit chercher les origines de notre ancêtre.

    Si vous êtes intéressé par le sujet je serais ravi d’en discuter avec vous, et n’hésitez pas à partager des éléments de recherche, nous avancerons tous plus vite 🙂

    Merci encore de perpétuer cette histoire !

    Julien

    1. Bonjour, je partage votre analyse Je ne pense pas qu’ils sont de la même famille la différence d’âge est trop importante . De plus j’ai vu que Andrée TEXEIRA s’appelait de ROZARIA et qu’elle avait vécu en couple avec un nommé Domingue TEXEIRA avant d’épouser Jacques MAILLOT

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