Pour ce tout nouveau rendez-vous, je vous propose un récit autour d’un poilu prénommé Pierre JACOB et de ses proches, Pierre dont j’avais déjà évoqué sur ce blog les œuvres artistiques et le parcours de résistant en 39-45. Intéressons-nous donc aujourd’hui à son père Maxime JACOB.
Et il l’attend
C’est un homme pressé qui fait les cent pas sur le quai de la gare de Pau. De temps à autre, on le voit s’arrêter, lever et plisser les yeux vers la pendule qui surplombe à cette heure une foule encore patiente.
Chaque regard jeté vers l’horloge lui arrache un nouveau grognement. Ce train est encore en retard, l’entend-on grommeler.
(Le train pour Pau n’a jamais failli à sa réputation depuis. Il puise sa légende dans ses plus jeunes années d’existence et une légende, cela s’entretient, cela ne doit souffrir d’aucune contrariété. Beaucoup ont essayé.)
Mais revenons à Maxime JACOB qui attend Pierre son fils aîné sur le quai depuis bientôt vingt minutes. Nous sommes en 1919 et jamais il n’aurait pensé que cette guerre durerait aussi longtemps, que son fils lui serait arraché des années durant, lui ce petit garçon sensible qu’il a élevé – éduqué plutôt -, ce jeune homme peu sûr de lui mais aimable et courtois, qui n’avait alors en tête que la musique et la littérature.
Pouvait-on imaginer pire soldat que son petit ? Pourtant il l’a faite cette guerre, avec grand courage. Son fils rentre vivant avec les honneurs, sera-t-il aussi fier que son père l’est à cet instant ?
Et il se souvient
Maxime, lui, a échappé au service militaire il y a bientôt quarante ans. A l’époque, il était étudiant en droit à Toulouse, il voulait devenir avocat et c’est d’ailleurs ce qu’il fit. Il se souvient de la rue de la Fonderie, des escaliers de son immeuble qu’il dévalait chaque matin, du grand sérieux de ses professeurs à l’université, des exigences de la mère, de l’absence du père. De la jeunesse et de la liberté surtout.
Maxime s’est bien entendu présenté à la conscription mais s’est vu dispensé en regard de sa condition de fils unique de veuve. La disparition brutale du père le 3 juin 1863 alors que Maxime n’avait pas 3 ans, l’a dispensé de ses obligations envers le pays. Une clémence qui lui aura longtemps laissé un goût amer.
Accessoirement, il était myope aussi, comme son fils.
La disparition brutale du père. C’est peu de le dire en effet. L’affaire de la mort de son père se retrouva dans les journaux de l’époque car M. Albin JACOB, père de Maxime, était un personnage fort connu et respecté sur la place de Pau.
Voici ce que relatait le journal le Mémorial des Pyrénées le jeudi 4 juin 1863 : « Un honorable négociant, M. Albin JACOB, établi sur la Place St-Jacques , a succombé ce matin à une mort subite. Il était un peu indisposé depuis quelques jours , mais il s’était levé comme d’habitude et vaquait à son commerce; tout-à-coup on l’a vu chanceler, on lui a porté secours, un médecin a été appelé, mais déjà il avait cessé de vivre. M. Albin JACOB était âgé de 48 ans. »
Transcription
L’an mil huit cent soixante trois et le trois juin à une heure du soir, devant nous Charles Antoine Dieudonné LAFORGUE, adjoint au maire et par délégation de ce dernier, officier de l’état civil de la ville de Pau, département des Basses-Pyrénées, sont comparus, Messieurs Auguste LAMAIGNERE, âgé de quarante trois, avocat et Pierre Auguste LABORDE, âgé de ving neuf ans, employé d’imprimerie, domiciliés à Pau, lesquels nous ont déclaré que Monsieur Pierre Albain JACOB, âgé de quarante huit ans, négociant, né à Cier-de-Rivière, Haute-Garonne, domicilié à Pau, époux de dame Catherine BAYLOCQ, fils de feue Bertrand JACOB et Sophie LAFORGUE, est décédé aujourd’hui à huit et demie du matin en la maison Minvielle, rue des Cordeliers, en cette ville et ont les déclarants signé avec nous le présent acte après lecture faite.
Près de la Place du Palais de Justice, au n°26 rue des Cordeliers, Maison Minvielle, officiait donc chaque jour Albin JACOB, père de Maxime et grand-père paternel de Pierre.
La place du Palais de Justice :
Maxime JACOB vient donc de cette famille de négociants originaires de Haute-Garonne. La guerre, il ne l’a pas connue. Certes. Mais la vie lui a semblé être un combat tout aussi valable. Les études, le travail et la famille l’ont emporté sur le reste pendant longtemps. Les sciences aussi ont compté, toutes les sciences. Maxime fait partie de l’association française pour l’avancement des sciences.
Au IVe congrès de l’Union Historique et Archéologique du Sud-Ouest de 1911, on dit aussi de lui que c’est un « érudit linguiste », il a en effet traduit un texte allemand de Hans KLAEBER sur le Maréchal BERNADOTTE, paru en 1910.
Ce qu’il sait, Maxime cet homme brillant, il l’a enseigné à son fils. Il a essayé et il espère n’avoir rien omis, rien d’essentiel du moins. Peut-être pourra-t-il encore lui prodiguer quelque enseignement encore sur la vie ou sur les arts.
Où l’on se retrouve
Tout à coup, alors qu’il se trouve en bordure du quai, un passant trop pressé bouscule Maxime, le sortant de ses pensées. Il recule un peu, se met à l’écart et replonge aussi dans ses souvenirs. C’est encore là qu’il se sent le plus proche de Pierre.
Il songe que son fils ne lui écrira plus de lettres du camp et s’en réjouit. Pierre pourra désormais se consacrer à la musique ou à l’écriture, l’autre, la vraie selon lui, pas celle de la guerre, des camps, des horreurs.
Il pourra même étudier de nouveau s’il le souhaite ou tout ce qui lui semblera bon de faire. Rien de ce qu’il décidera désormais ne sera sujet à discussions. Son fils est vivant et il faudra donc qu’il vive.
Voilà que le train entre en gare dans un fracas à peine supportable.
Une fois le train stoppé, Maxime JACOB s’emploie alors à scruter les passagers qui descendent avec hâte les marches des voitures. Cela fait si longtemps qu’il n’a pas vu son fils, a-t-il changé ? Il se souvient avec une précision effroyable des adieux déchirants sur ce même quai lorsque Pierre est monté à bord du train à la fin de sa dernière permission. Il ne voudrait plus jamais revivre ce moment-là.
Maxime l’aperçoit qui s’avance. Il reconnaît sans peine les yeux verts de Pierre, les yeux de sa défunte mère en vérité. Son cœur bondit.
Les retrouvailles sont chaleureuses mais pudiques. Le père oublie ses agacements, ses tics d’impatience pour mieux accueillir le fils. Dans un élan nouveau pour lui, il ouvre les bras en grand.
Après la guerre
Bien des mois plus tard, Pierre JACOB emménagera dans la maison de son grand-père maternel Eugène JAUDET au n°52 rue Maréchal JOFFRE, anciennement rue de la Préfecture.
Eugène qui habitait là depuis des décennies est maintenant décédé. Pierre s’installera alors dans l’appartement en compagnie de Sophie HAYET, une petite cousine de sa grand-mère maternel -et non sa grand-tante comme indiqué dans les recensements de 1921 ci-dessous -, et de l’ancienne domestique de son grand-père, « Marilis » BOURDATTE.
Un an plus tard, en 1921, Pierre sortira son premier recueil de mélodies sous le pseudonyme de P.-J. Robert CANTABRE. Il sera compositeur de musique.
Et puis ? Et puis ce sera les années folles. À Paris obligatoirement. Ce sera la musique bien sûr mais aussi la littérature, l’écriture des romans, des pièces de théâtre, les représentations, les rencontres, les concours, les prix. La gloire éphémère certes, mais la gloire tout de même.
Il n’oubliera pas dans ce tourbillon que ses premières compositions ont été écrites pour son père.
Il aura finalement trouvé la meilleure façon de lui dire merci.
Lisez la suite : #RMNA épisode 3 : Eugène JAUDET, le grand-père
Encore une très belle évocation, bravo
Une très belle histoire, très bien documentée, merci et bravo
C’est un bien joli récit, bien documenté et illustré, on est heureux de lire les retrouvailles entre Maxime et Pierre !
La vie de cet homme, racontée sous ta plume, est vraiment intéressante. Tu sais rendre vivants tous ces épisodes qui se succèdent.
Après tous ces récits de destins fauchés pendant la Grande Guerre, que ces retrouvailles font plaisir ! Et on comprend bien aussi combien les Années Folles ont dû être un exhutoire aux survivants…