26 avril 2024

A comme Antsiranana

En ouvrant le dictionnaire des lieux de mon logiciel de généalogie il y a quelques jours, j’ai compris que je tenais quelque chose pour le #ChallengeAZ. Je vous invite donc à embarquer pour un tour du monde à la rencontre de mes ancêtres directs, collatéraux ou affiliés qui ont vécu dans des lieux lointains, insolites aux consonances parfois exotiques. Tous ceux pour lesquels j’ai eu le plaisir de faire quelques recherches. Je croise fort les doigts pour découvrir en même temps que vous des documents et des événements nouveaux. L’avantage de l’impréparation, c’est que la pression que l’on se met habituellement sur les recherches et l’écriture, tombe.

Antsiranana, plus connue sous le nom de Diego Suarez par nos ancêtres, est une grande ville portuaire située au nord de Madagascar. Elle porte le nom des deux navigateurs portugais qui l’ont découverte aux alentours de 1500 : Diego DIAZ et Herman SUAREZ.

C’est sur ce territoire bien éloigné de la France métropolitaine que s’est établie pendant la colonisation une importante base militaire française. Joseph Joffre qui s’illustrera plus tard pendant la Première Guerre Mondiale, entrepris d’y créer les grandes infrastructures de la ville et d’y aménager la base navale aux alentours de 1900.

Quartier militaire de Diego Suarez. Source photo : https://latribune.cyber-diego.com/

Suite à la mobilisation générale d’août 1914, de nombreux hommes réunionnais réquisitionnés se rendent à Diego Suarez devenue une véritable plaque tournante militaire afin de passer l’incontournable contrôle médical nécessaire avant d’embarquer pour le front.

Plusieurs des miens ne franchissent pas cette première étape face à la commission médicale et sont déclarés inaptes au combat en raison de leur mauvais état de santé ou d’une insuffisance physique, traduisant si besoin est, les conditions de vie difficiles de l’époque à la Réunion. Un marqueur sanitaire et social, pourrait-on dire aujourd’hui. Si pour vous, la réforme n°2 est l’exception, pour moi, elle est la norme.

Parmi ceux qui ont réussi à passer le « cap » de Diego Suarez, il en est un que j’ai découvert relativement récemment. Il s’agit du jeune Éloïs PAYET, frère de mon arrière-grand-mère. Aussi étrange que cela puisse paraître, j’étais totalement passée à côté de ce jeune soldat pendant des années, mais peut-être aussi parce que j’avais le nez rivé sur les grands aventuriers du XVIIe.

Les premières années

Éloïs est le fils cadet de Roséma dit Méry PAYET et de Marie Eloïse HOARAU. On peut deviner aisément d’où il tient son prénom peu répandu pour l’époque.

Il naît le 4 octobre 1889 à Saint-Louis de la Réunion et précède de trois ans mon arrière-grand-mère Marie Elisenne. C’est le neuvième enfant de la fratrie !

Source : Heredis
Acte de naissance d’Éloïs PAYET le 4 octobre 1889 à Saint-Louis, Le Ruisseau. Source : ANOM

Transcription

L’an mil huit cent quatre-vingt-neuf, le cinq octobre à huit heures du matin, par devant nous, Pierre Aubry, Docteur en Médecine, Président de la délégation spéciale de Saint-Louis, remplissant les fonctions d’officier public de l’état civil, est comparu en la maison commune le sieur Roséma PAYET âgé de quarante deux ans, cultivateur et domicilié de cette commune, lequel nous a présenté un enfant de sexe masculin né le jour d’hier à huit heures du matin, en sa maison sise au lieu dit le Ruisseau, de lui déclarant et de la dame Marie Éloïse HOARAU, son épouse, âgée de quarante ans, sans profession et domiciliée de cette commune; et auquel enfant il a déclaré vouloir donner le prénom de Éloïs. Les dites déclaration et présentation faites en présence des sieurs Léonce BÉNARD, âgé de vingt cinq ans et Émile LAURET, âgé de cinquante huit ans, non parents, cultivateurs et domiciliés de cette commune. Nous, Président de la délégation spéciale, avons signé le présent acte en présence du père et des témoins qui ont déclaré ne le savoir de ce interpellés, suivant la loi, après lecture faite.

La famille PAYET habite le Ruisseau, lieu dit de la commune de Saint-Louis et situé au sud-ouest de l’île, où ont également vécu leurs parents avant eux.

Carte de la Réunion. Source : Google Maps

À noter qu’en dépit de ce qui est indiqué dans l’acte de naissance, le père Méry PAYET sait parfaitement signer. J’ai pu voir sa signature apposée sur d’autres actes de l’état civil. Ce n’est d’ailleurs pas mon premier cas d’ancêtres qui déclarent ne pas signer ou que l’on déclare ne sachant signer, alors qu’en réalité ils signent bel et bien !

En 1901, Éloïs a 11 ans et décroche son Certif’ ! Le Certificat d’Études Primaires (CEP) est un diplôme qui sanctionne la fin de l’enseignement élémentaire. Dans la mine d’or que constitue Gallica, j’ai trouvé trace de sa réussite aux examens.

Le départ pour Antsiranana (ou Diego Suarez)

Toujours grâce aux archives numérisées, je le retrouve, presque classiquement, pour le recrutement militaire sur le site des Archives Nationales d’Outre-Mer et c’est là que les choses deviennent intéressantes car Éloïs est en réalité déjà sous les drapeaux. Nous avons en effet affaire à un engagé volontaire qui a embarqué pour Diego Suarez sur le paquebot l’Oxus avant de signer plusieurs contrats d’engagement à Diego Suarez, d’abord pour 3 ans puis pour 5 ans.

Il faut se l’avouer, lorsque l’on tombe sur une fiche matricule, la première des choses que l’on regarde, c’est le signalement de notre recrue. Pour Éloïs, ce sera donc les cheveux châtain foncé, les yeux gris, le nez rectiligne, un visage long et 1m72. Mais ce qui le démarque surtout, c’est le tatouage de la lettre « P » (comme PAYET ?) sur l’avant-bras gauche et deux naevus sur la poitrine.

À noter qu’il exerce la profession d’ébéniste, ce qui est une information totalement inédite au stade où j’en étais de mes recherches à l’époque. D’abord incorporé comme canonnier au 7e Régiment d’Artillerie Coloniale, il est nommé brigadier le 1er juin 1913 puis le 25 du même mois, il intègre le 3e Régiment d’Artillerie Coloniale.

En juillet 1913, il finit par quitter Diego Suarez pour Marseille. Peu de temps après son arrivée sur le sol métropolitain, il est hospitalisé pendant deux mois sans que l’on sache toutefois la raison. Il finira par sortir de l’hôpital au mois de novembre 1913.

La guerre

La suite, eh bien c’est la guerre ! Sa participation à la campagne contre l’Allemagne entre 1914 et 1918 est bien confirmée dans sa fiche matricule. Dans les journaux de Marche du 3e RAC, on peut suivre de près les opérations en cours. En juin 1915, il obtient le grade militaire de Maréchal des Logis. Il s’agit d’un grade de sous-officier dans les régiments de cavalerie, de l’artillerie ou du train.

Malheureusement, Éloïs ne verra pas la fin du conflit. Le 22 mars 1918, il décède de la tuberculose (contractée en service) à l’hôpital complémentaire n°68 de Mandelieu. Mandelieu-la-Napoule dans les Alpes-Maritimes.

Éloïs sera déclaré Mort pour la France avec citations et Croix de guerre.

Source : https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr
Cimetière de Mandelieu-la-Napoule. Photo : J. GALICHON pour Geneanet

Officier de grand mérite qui s’est notamment distingué en assurant sous le feu le ravitaillement de sa batterie, avec un courage exemplaire et dans des conditions très difficiles du 25 février au 10 mars 1918.

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Jourdavant

Généalogiste amateur originaire de l'île de la Réunion

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9 réflexions sur « A comme Antsiranana »

  1. Ai-je cliqué uniquement parce qu’intriguée par ce nom mystérieux d’Antsiranana ? Oui ! 😉
    Et je ne regrette pas cette curiosité. Article intéressant, lecture agréable !
    (en plus, j’aime beaucoup les prénoms Eloïs et Elissène)

    1. Hélas oui ! Je ne démarre pas le challengeAZ sur une note très optimiste et je crains que ça soit encore « pire » demain avec l’article B. Je tâcherai de me rattraper plus tard 🙂

  2. Je connaissais Antsiranana de nom (on ne prononce pas la dernière syllabe) mais rien de son histoire.
    Tu as hésité à participer !? Ah, tu nous aurais privé de ce superbe début !

    1. J’ai trouvé ton commentaire dans mes spams, étrange ! C’est réparé maintenant 🙂 Merci pour ton message ! Faut que je m’accroche pour la suite.

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