Le Maniron est un lieu-dit de L’Étang-Salé, commune située dans le sud-ouest de la Réunion.
Selon certains sites, Maniron serait une déformation de « Manuron » qui commence à apparaître sur une carte de l’île au XVIIIe siècle.
On raconte que Manuron était une femme d’origine malgache dont le mari, grand propriétaire terrien, aurait rebaptisé ses terres du nom de son épouse décédée. L’histoire est belle, mais elle l’aurait été encore plus si on avait retrouvé une quelconque trace du décès de cette femme ou même de son mariage avant cela.
Des femmes qui portent le nom de « MANURON », il n’y en a pas dans l’état civil indexé de la Réunion. Il existe cependant 3 femmes « MANIRON » au XIXe siècle :
Alors cette MANURON a-t-elle vraiment existé ? Bien que cela soit tentant, je ne me lancerai pas tout de suite dans la généalogie de ces MANIRON (sans parents connus visiblement) pour essayer de remonter l’histoire ou la légende. L’éparpillement étant l’ennemi du généalogiste, ce sera peut-être pour une autre fois.
Non aujourd’hui, celle dont je vais parler est aussi une femme du XIXe siècle, mais elle s’appelle Marie CARIAN. Elle est décédée au Maniron le 28 février 1879. Il s’agit de mon Sosa 19, mon arrière-arrière-grand-mère.
Marie est née esclave au cours de l’année 1844. Elle est recensée dès 1847 chez sa propriétaire, la veuve Henry FONTAINE à Saint-Louis.
Je pense que sa propriétaire n’est autre que Louise Françoise HOAREAU (1771-1855), veuve Henry FONTAINE (1771-1841). Cette femme est la fille d’Armand et de Marianne Brigitte LAURET qui sont également mes ancêtres.
En bref, la fille de mes ascendants du côté maternel est la propriétaire d’une esclave, qui est aussi une ascendante du côté paternel. Je pressentais de toute façon que ça n’allait pas être simple à démêler.
Mais revenons aux recensements de 1847 ou plutôt aux bases de données mises en ligne par M. Gilles GERARD, anthropologue et historien. Marie y est référencée sous le numéro 1968.
Marie est la fille de Henry CARIAN et de Geneviève TOSSAM, mariés en 1844. Je n’ai hélas pas pu trouver trace de ce mariage entre ces deux esclaves Henry et Geneviève dans l’état civil.
Sa mère Geneviève TOSSAM est donc esclave de la veuve Henry FONTAINE en 1847. Par contre, son père Henry CARIAN n’est plus un esclave, il est « affr » (affranchi) en 1847.
À la ligne 1968, on retrouve les informations concernant Marie CARIAN en 1847, sa filiation et son futur mariage.
En résumé, Marie est une enfant de 4 ans en 1847, créole (née à la Réunion), fille de Henry CARIAN, libre, et de Geneviève TOSSAM, esclave, un couple marié depuis 1844.
Elle-même se marie en 1861 à Gustave AUBERVAL, esclave lui aussi.
Le père de Marie a donc été affranchi en 1847.
Il est créole âgé de 30 ans et domestique. Celui qui l’affranchit est Paul Emile NAIRAC, propriétaire à Saint-Louis.
NAIRAC -> CARIAN 😉
Paul Emile Henry NAIRAC (1796-1858) est un lieutenant-colonel né à Saint-Louis la Réunion, qui a investi dans plusieurs usines sucrières. En 1848, il possède 140 esclaves au lieu-dit Les Fiagues où il a ouvert une usine en 1830. Son père est un primo-arrivant qui nous vient d’Irlande (tiens…), mais il semble que ses origines soient plutôt à rechercher du côté de Bordeaux.
Ce Paul Emile NAIRAC est donc un grand propriétaire. La raison pour laquelle il affranchit Henry n’est pas connue.
Nous avons donc en 1847 dans cette famille : le père Henry CARIAN, libre, marié à la mère Geneviève TOSSAM, esclave. Ils ont quatre enfants esclaves (comme leur mère) : Auguste, Virginie, Paulin et enfin Marie.
Je n’ai jamais rencontré ce cas de figure, mais peut-être n’était-ce pas si courant que cela, à l’approche de l’abolition de l’esclavage, de se retrouver avec un libre marié à une esclave.
Le 15 janvier 1861, Marie CARIAN se marie avec Gustave ou Augustave AUBERVAL (1839-1911). Il s’agit du fils de Scholastique AUBERVAL évoqué l’article C de ce #challengeAZ.
Lui était esclave de Théodose AUBRY jusqu’à l’abolition de 1848.
Un ancien esclave qui signe…
Il est souvent « cultivateur », parfois « propriétaire ». Aussi, c’est un peu la surprise de le découvrir « Agent de police » sur l’acte de décès de son petit fils François Augustin DELGARD en 1887.
Il resterait encore beaucoup à creuser de ce côté là…
Marie CARIAN et Gustave AUBERVAL auront ensemble 8 enfants dont 6 atteindront l’âge adulte.
Mais Marie décèdera jeune, à l’âge de 35 ans au Maniron, des suites de son dernier accouchement en 1879. L’enfant ne survivra pas non plus.
Sources :
http://iledelareunion-archive.com
Ou comment ne pas aller chercher trop loin pour inventer un nom de famille !
ça va, Carian, ça sonne plutôt pas mal pour un nom inventé et qui existe ailleurs, sûrement 🙂
Il y a pas mal de noms « inventés » dont tu ne doutes pas qu’ils ont été attribués à des esclaves, je me méfie beaucoup des noms en général 🙂 Ils ont parfois une origine insoupçonnée
Excellent billet ! Je plussoie 😉 Au plaisir de discuter de l’Île et de tout ça. Lé bien té 🙂
Merci Fabien pour ton commentaire ! Nous aurons l’occasion probablement d’en parler sur un salon ou autre évènement généalogique 😉