La condition initiale de mon arrière-arrière-grand-père Gustave AUBERVAL est celle d’un enfant né esclave le 27 avril 1839 à Saint-Louis de l’île Bourbon (Réunion). Sa jeune mère Scolastique, alors âgée de 15 ans, se trouve elle-même en position d’esclave chez un certain Théodose AUBRY. L’enfant va donc hériter de la condition de sa mère pendant les premières années de sa vie.

L’an mil huit cent trente neuf, le deux mai, le sieur Théodose Aubry domicilié de cette commune, nous a déclaré par écrit que la nommée Scolastique, créole âgée de quinze ans, son esclave, est accouchée le vingt sept avril dernier d’un garçon qui se nomme Gustave. Le Maire.
Signature : J. Lambert.
Les maîtres
À cette époque, leur propriétaire Théodose AUBRY est un cultivateur et propriétaire de Saint-Louis. Son père Jean Pierre était un breton de Saint-Servan dans le Morbihan venu s’établir dans l’île vers 1799, relativement récemment donc.
Théodose a pour épouse Thérèse Marguerite MONTY, laquelle disparaît prématurément à 21 ans, après une vie bien remplie puisqu’elle laisse derrière elle 3 enfants qu’elle aura eus au cours de leurs 7 années de mariage ! (Il se trouve qu’en plus d’être la descendante de l’esclave Gustave AUBERVAL, je suis aussi apparentée à sa propriétaire Thérèse Marguerite MONTY via sa mère Célerine NATIVEL)
Les AUBRY et les AUBERVAL sont étroitement liés depuis plusieurs années : plusieurs membres de la famille AUBERVAL sont ainsi répartis chez les frères et sœurs de Théodose. Je me permets de reposter ici l’arbre des AUBRY sur lequel j’ai placé les membres esclaves de la famille AUBERVAL.

La famille de Gustave dans les archives
Pour en revenir à mon ancêtre Gustave, il est à noter que deux de ses frères naissent quelques années après lui : Félix Justin en 1843 et Élie en 1846.
Seuls Gustave et Félix sont cependant cités dans le recensement de 1847. Élie, le dernier-né, n’est tout effectivement pas mentionné. A-t-il été oublié ? Ou est-ce volontaire ?
Leur propriétaire AUBRY n’a pourtant pas manqué de déclarer sa naissance l’année précédente.
Je remercie – une nouvelle fois – l’anthropologue et historien Gilles GÉRARD de m’avoir transmis les feuilles de recensement de la famille AUBRY qui atteste de la présence de mes ancêtres sur leur propriété en 1847.


À noter au passage que Scolastique, la mère de Gustave, est maintenant âgée de 28 ans au lieu des 23 ans attendus.
La mère et les fils sont tous trois désignés comme créoles, donc nés sur l’île et, semble-t-il, « rougeâtres » ? Ces quelques précisions apportées ici ne m’aideront pas beaucoup à me faire une idée de leur apparence physique. Hélas.
L’affranchissement et le choix (?) d’un nom
En 1848, par décret du Gouvernement provisoire de la République, Scolastique et ses 3 fils sont affranchis. D’autres membres de leur famille le sont aussi par ailleurs, notamment une certaine Rosette qui avait fait l’objet de recherches passionnées ici-même il y a un peu plus de deux ans.
L’abolition de l’esclavage marque un tournant dans l’histoire des colonies françaises et une nouvelle ère de liberté pour de très nombreuses familles de l’île dont celle de Gustave.
Scolastique et ses enfants se voient alors attribuer le nom d’AUBERVAL, un patronyme qui entre pour la première fois dans les registres de la Réunion.
Ce nouveau nom est de toute évidence inspiré de celui de leur ancien propriétaire AUBRY. Il est cependant difficile aujourd’hui de savoir qui en est à l’origine. Serait-ce l’officier de l’état civil ? La famille AUBRY ? Plus surprenant : la famille AUBERVAL ?

Source : Archives Départementales de la Réunion – cote : EDEPOT4/35, vue 11/201
L’ascension sociale de Gustave AUBERVAL
Suite à l’abolition de l’esclavage, les nouveaux affranchis peuvent désormais s’unir officiellement. Dans les années qui suivent, ces unions se multiplient, leur permettant de reconnaître par la même occasion de nombreux enfants naturels. Les actes de mariage des nouveaux affranchis sont de véritables mines d’information pour qui veut essayer de reconstituer ces familles.
Par ailleurs, la légitimation des enfants leur ouvre le droit de transmettre un patrimoine à leur descendance.
Il n’est donc pas très étonnant de voir les affranchis recourir massivement au mariage. Il est aussi possible qu’il y ait eu à l’époque une pression importante des autorités laïques et/ou religieuses.
En 1861, Gustave AUBERVAL épouse donc Marie CARIAN, une ancienne esclave dont j’avais évoqué le parcours dans un article du ChallengeAZ.
Alors qu’il déclare ne savoir signer à son mariage, Gustave apposera tout de même sa plus belle signature un an plus tard sur l’acte de naissance de sa fille Marie Louise.

Il signe d’ailleurs de multiples fois au cours des années suivantes. Tantôt OBERVAL, tantôt AUBERVAL. Il fait aussi usage du prénom Augustave relativement fréquemment.
De son union avec Marie CARIAN naissent 8 enfants dont mon ancêtre Marie Louise AUBERVAL (1862-1922). Ils résident tous à l’Entre-deux, au quartier La Mare.
Quelques photos personnelles de la charmante commune de l’Entre-Deux prises en 2024 :






C’est après avoir mis au monde son 8ème enfant en 1879 que Marie CARIAN décède. Elle est âgée de seulement 35 ans. L’enfant ne survivra pas non plus.
Un nouveau mariage et la reconnaissance
Gustave restera veuf pendant les 10 années qui suivront le décès de Marie.
Une question me taraude toujours dans ce genre de cas : qui prend en charge les enfants en bas âge après la disparition de leur mère ? La grand-mère Scolastique, toujours en vie ? L’aînée des filles, Marie Louise, âgée de 17 ans ? Une compagne dont j’ignore l’existence ?
Je ne peux malheureusement pas compter sur les recensements pour y avoir plus clair parce qu’ ils ne sont tout simplement pas disponibles en ligne pour la période concernée.
Gustave se remarie donc en 1889 avec Antonia FONTAINE qui ne descend pas d’esclaves, contrairement à sa première femme Marie. Ils auront ensemble deux enfants prénommés Antoine Augustin et Rose.
De « cultivateur » en 1861, Gustave est désigné « propriétaire » en 1880 puis « agent de police » en 1887, ce qui est constaté dans l’acte de décès de son petit fils François Augustin et dans son acte de mariage en 1889 avec Antonia.

Source : Archives Nationales d’Outre-Mer, commune de l’Entre-Deux, mariages, 1889, vue 13.
Il est d’ailleurs fort probable qu’au-delà de savoir signer, Gustave maîtrise aussi la lecture et l’écriture.
Le contraste est tout de même saisissant : lui qui ne détenait aucun droit autrefois, est devenu petit à petit une figure d’autorité dans la société réunionnaise. C’est presque un retournement de situation. Tout son parcours témoigne finalement d’une ascension sociale assez remarquable.
Décédé le 11 septembre 1911 à l’âge de 72 ans, Gustave AUBERVAL laisse derrière lui une nombreuse descendance et une histoire familiale plutôt riche. Ses enfants puis ses petits-enfants s’uniront plus tard avec des familles aussi bien issues d’esclaves affranchis que de descendants des premiers colons, entremêlant davantage les différentes lignées familiales.

Collection Musée de Villèle, numéro d’inventaire 1990.55

Sources :
C’est toujours un plaisir de te lire et ainsi de mieux comprendre cette société qui vivait sur l’île Bourbon.
Merci à toi pour ce commentaire ! J’aimerais bien écrire davantage cette année. Le plus dur à chaque fois, c’est de se lancer, mais après ça revient tout doucement 🙂
Contente de retrouver cette belle île et de découvrir le parcours de Gustave
Merci beaucoup pour ton commentaire Fanny 🙂