Les origines de Jacques Vaché
Jacques Vaché, celui que l’on surnomme le dandy des tranchées, est considéré aujourd’hui comme un précurseur du surréalisme même s’il n’a pas eu le temps en réalité de connaître ce mouvement.
L’écrivain Jacques Pierre Vaché est né le 7 septembre 1895 à Lorient de James Samuel Vaché, 35 ans, capitaine d’artillerie de marine et de Marie Alexandrine Denise Vincendeau, 21 ans, sans profession.
Le prénom du père, James, peut intriguer à cette époque mais il s’explique aisément par les origines anglaises de sa mère, Mary Jane Pearson, née à Walmer dans le Kent en 1837. Jacques Vaché, petit-fils de Mary Jane, sera de ce fait bilingue.
D’après les recherches que j’ai effectuées dans les tables décennales de Lorient, seul un autre enfant naîtra au sein de la famille Vaché mais bien des années plus tard : Paul Louis William le 12 juin 1909. Il semblerait cependant (selon des arbres présents sur Geneanet) que Jacques Vaché ait eu également deux sœurs, peut-être nées à l’étranger ?
Il faut savoir en effet que le père, capitaine puis chef d’escadron au 1er Régiment d’Artillerie Coloniale, effectuait de nombreux voyages en Afrique et en Extrême-Orient. Jacques Vaché a d’ailleurs passé une partie de sa petite enfance à Hanoï, la capitale de l’Indochine française. Le père a été promu chevalier de la Légion d’honneur en 1896 et officier en 1912 en reconnaissance de ses services.
Jacques Vaché revient à Lorient au milieu des années 1900 et poursuit une bonne scolarité à l’Institut catholique Saint-Louis. Il est régulièrement récompensé ou nominé pour des prix d’excellence. Les journaux locaux se font l’écho chaque année de ses mérites.
Le trublion
Son goût pour la poésie, la littérature, l’écriture et le dessin apparaissent très tôt mais il ne pourra réellement l’exprimer qu’au Grand Lycée de Nantes où il fait la rencontre de ses amis Eugène Hublet, Pierre Bisserié et Jean Bellemère (connu sous le nom de Jean Sarment).
À eux quatre, ils fondent Le groupe de Nantes ou Le groupe des Sârs.
À quatre mains, ils rédigent des textes courts satiriques, Pierre Bissérié et Jacques Vaché dessinent également. Ils lancent leur propre revue antimilitariste qui n’aura connu en tout et pour tout qu’un seul numéro et pour cause, elle portait le titre évocateur de : En route mauvaise troupe…
À l’époque, cela faisait vraiment désordre. Dès sa parution, une bagarre est d’ailleurs déclenchée au sein du lycée entre les élèves de la classe de philosophie dont font partie les Sârs et les élèves de Saint-Cyr.
Jacques Vaché et Jean Sarment sont renvoyés, des exemplaires sont détruits et la presse rapportera l’incident au niveau national car l’article Anarchie fait véritablement scandale à l’époque. L’Écho de Paris en fera même sa Une dans son édition du 1er février 1913 !
Le groupe poursuivra néanmoins l’écriture de textes subversifs et potaches dans d’autres revues tels que Le canard sauvage édité de manière plus professionnelle et dont les textes savoureux comme Gilles de Jacques Vaché ont été mis en ligne par la Bibliothèque Municipale de Nantes sur ce lien.
La guerre
Lorsque la guerre éclate en 1914, les quatre étudiants sont presque âgés de 20 ans et ils savent pertinemment qu’ils vont être mobilisés rapidement.
Bon gré mal gré, Vaché intègre le 19e Régiment d’Infanterie de Brest puis rejoint le 64e Régiment d’Infanterie en 1915. Il occupe le poste de grenadier.
Le 25 juin 1915 à Tahure, une ancienne commune de la Marne détruite par la Première Guerre mondiale, Jacques Vaché est blessé sérieusement aux jambes par l’explosion d’un sac comprenant plus de trente grenades. Il est aussitôt transféré à Nevers puis à l’hôpital militaire de Nantes.
Il ne se dépare toujours pas de son cynisme lorsqu’il écrit aux membres de sa famille dont sa tante :
[…] je regrette fort d’avoir été blessé le matin d’une journée si intéressante – je ne dis pas belle – car il faut avoir vu les cadavres en tas pour savoir comment cela se passe. Mais quel coup d’œil ! des vrais tableaux de genre… le ciel classique sanglant, la nuée de corbeaux, les débris de casques… les armes broyées […]
Alors qu’il est toujours en convalescence début 1916, il fait deux rencontres importantes : les écrivains André Breton et Théodore Fraenckel, tous deux internes en médecine à l’hôpital militaire.
Breton restera marqué par l’élégance, l’intelligence, les provocations et l’humour de Vaché. Il dira d’ailleurs que Vaché est au monde l’homme que j’ai le plus aimé et qui sans doute a exercé la plus forte et la plus définitive influence sur moi.
Une fois remis de ses blessures, Vaché sera affecté en mai 1916 aux services auxiliaires. Il est versé dans le 81e Régiment d’Infanterie Territoriale puis rejoint le 19e escadron du train des équipages militaires et enfin dans l’armée britannique.
Tout au long de sa mobilisation, Jacques Vaché produit une correspondance importante. Ses lettres et dessins sont adressés aux membres de sa famille, à ses amis et à son infirmière de l’hôpital de Nantes. Voici notamment ce qu’il écrit à André Breton en juin 1916 :
Je promène de ruines en villages mon monocle de cristal.
Il n’a jamais caché son antimilitarisme depuis le lycée et les lettres qu’il adresse à sa mère sont souvent accompagnées de dessins humoristiques et explicites :
Évidemment il n’a rien de. À Aragon, il écrit en juillet 1918 : Je suis en prison, naturellement.
Les Lettres de guerre de Jacques Vaché seront publiées après la guerre sous l’impulsion d’André Breton qui en assurera la préface. André Breton le considérera toujours comme un digne représentant de l’avant-garde du surréalisme.
Fin de Jacques Vaché
Nous sommes dans la soirée du 5 janvier 1919, Jacques Vaché et quatre de ses amis, Paul Bonnet, l’américain A.K. Woynow, André Caron et le lieutenant Maillocheau se retrouvent au théâtre de l’Apollo de Nantes.
Ils décident ensuite de se rendre dans la chambre de Paul Bonnet à l’hôtel de France de la place Graslin autour d’un « pot de confiture », autrement dit de l’opium.
Pas intéressé par l’opium, Maillocheau ne tarde pas à repartir. Les autres restent et en consomment, non pas avec des cigarettes ou une pipe, mais sous forme de boulettes. Malade, Caron rentre chez lui et sera probablement sauvé par son père stomatologue.
L’américain Woynow s’assoupit sur un fauteuil. À son réveil le 6 janvier 1919, il trouve Vaché et Bonnet sur le lit, nus et inconscients. Il prévient les secours qui ne parviendront pas à les ramener à la vie.
Le rapport de police indiquera qu’ ils ont fumé et absorbé de l’opium en telle quantité qu’ils se sont endormis et n’ont pu se soustraire à l’influence de ce stupéfiant ».
Jacques Vaché avait 23 ans.
André Breton, fervent admirateur de Jacques Vaché, n’a jamais cru à l’accident. Il pensait même au départ qu’il s’agissait d’un assassinat ! Plus tard, il optera pour la thèse du suicide et écrira ceci :
Jacques Vaché s’est suicidé à Nantes quelques temps après l’armistice. Sa mort eu ceci d’admirable qu’elle peut passer pour accidentelle. Il absorba, je crois, quarante grammes d’opium, bien que, comme on pense, il ne fût pas un fumeur inexpérimenté. En revanche, il est fort possible que ses malheureux compagnons ignoraient l’usage de la drogue et qu’il voulut en disparaissant commettre, à leurs dépens, une dernière fourberie drôle.
André Breton, La confession dédaigneuse, in Les pas perdus, 1924.
Mais la véritable « dernière fourberie drôle », le dernier pied de nez de Vaché est venu de l’administration française et d’une manière bien involontaire ! En effet, après le décès de Vaché, sa mère reçoit un jour par courrier un document signé du Président de la République, Raymond Poincaré, sur lequel est inscrit :
À la mémoire
Vaché Jacques,
soldat du 19e Escadron du Train des Équipages Militaires
MORT POUR LA FRANCE Le 6 Janvier 1919.
HOMMAGE DE LA NATION
Lui, Jacques Vaché, le provocateur, le rebelle, l’anarchiste, l’antimilitariste, Mort pour la France.
Même lui n’aurait pu imaginer meilleur scénario !
Sa fiche sur le site Mémoire des Hommes indique comme cause de la mort : intoxication aiguë. Son ami Paul Bonnet décédé dans les mêmes circonstances et au même endroit aura droit à la mention : maladie non imputable au service.
En 2014, lors d’une vente aux enchères chez Drouot, ce fameux diplôme Mort pour la France de Jacques Vaché a été adjugé à 11 000 €.
Sources :
Archives municipales de Lorient
Archives Départementales du Morbihan
http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr
https://www.presseocean.fr
https://bm.nantes.fr
https://nantes.maville.com
https://jacquesvaché.fr
http://www.nosanscries.fr/individu/vache-jacques
http://dadasurr.blogspot.com/2010/03/jacques-vache.html
Je précise que j’ai pris pour habitude pour les articles du challenge de citer rigoureusement toutes les sources au fur et à mesure de l’écriture : d’abord les sites d’archives départementales et municipales, ensuite les sites du type Grand Mémorial ou Memoiredeshommes pour les carrières militaires ou les parcours durant la guerre, ensuite les sites de presse éventuellement, les sites dédiés comme le votre qui ont été des sources importantes. Il n’y aucune priorité ou ordre d’importance en général, tous ont été très précieux à mes yeux.
Bonsoir oui effectivement si je mets Ebay ou Delcampe ou Drouot sous une photo, c’est pour éviter de les mettre dans les sources, je ne vois pas trop l’intérêt. Il n’y a pas d’habitude particulière mis à part le fait que que les sources que je considère comme importantes sont systématiquement sous l’article. Mais j’ai l’impression que cela n’apaisera pas votre agacement. J’enlève donc les photos qui vous posent problème et on n’en parle plus. Je garderai en source votre site. Pour Guibal, je vous remercie pour l’information.
oups le plus beau challenge 2018 bien sûr, je suis en avance sur mon temps !