C’est en découvrant cette lettre de Léo Larguier sur un site de ventes aux enchères que j’ai eu l’idée d’un challenge autour des écrivains de la Première Guerre mondiale.
Cette lettre commence ainsi : Mon vieil ami, C’est fini. On va se retrouver ! Comme il va falloir rattraper tout ce temps gâché à force d’amitié, de bonne humeur et de travail ! C’est à vous que je pense aujourd’hui. Je suis seul, les mains ouvertes, effroyablement seul et veuf. Franchement je me demande s’il n’eut pas mieux valu y rester. Maintenant que c’est fini, je le regrette. J’ai la frousse de vivre. Jamais je n’ai eu le cafard comme aujourd’hui.
Quelques mots très émouvants à un ami ont suffi pour que je mette en quête de tous les hommes de lettres engagés dans la guerre. Certains y sont restés, d’autres comme Léo Larguier ont survécu et ont pu témoigner de leur expérience.
Léo Larguier est l’auteur de nombreux poèmes, essais, critiques littéraires, nouvelles et pièces de théâtre. Il est né le 6 décembre 1878 à La Grand-Combe dans le Gard, d’Anselme Honoré Albert, menuisier, et de Clarisse Pauline Thérond. Il a un jeune frère Arthur Eugène né en 1880.
Source : Archives nationales, base Léonore, dossier Légion d’honneur, cote : LH/1483/22
Maison natale de Léo Larguier
Je n’ai finalement trouvé que très peu d’informations sur l’enfance et l’adolescence de Léo Larguier, si ce n’est que très tôt, il s’intéresse à la poésie. Sa scolarité se passe au lycée d’Alès et il termine ses études en obtenant son baccalauréat en lettres.
Source : Archives Départementales du Gard, cote : 11 Fi 349.
En 1899, alors « étudiant en sciences » selon sa fiche matricule (en réalité étudiant à Sciences-Po), il est appelé à effectuer son service militaire. Mais il est déclaré ajourné pour cause de « faiblesse ».
Il l’accomplira finalement entre 1900 et 1902 au 61e Régiment d’Infanterie de ligne à Aix-en-Provence. Il est fait caporal en 1901 puis est mis en congé en septembre 1902 avec un certificat de bonne conduite. Il passe dans la réserve de l’armée active deux mois plus tard.
Léo Larguier quitte ensuite son sud natal pour Paris où il se consacre à la poésie. En 1904, il reçoit un prix de poésie, le prix Archon-Despérouses, pour le recueil La maison du poète.
Au moment de la mobilisation générale en août 1914, il est rappelé à l’activité et doit présenter à la Caserne Thoiras à Alès.
Source : http://etudescoloniales.canalblog.com
Du 117e Régiment d’Infanterie, il passe au 41e Régiment de Marche en 1915. Cette même année 1915, il rencontre à Nîmes Guillaume Apollinaire. Ils étaient voisins à Paris il y a plusieurs années mais Apollinaire ne semble pas le reconnaître et écrira plus tard à propos de cette rencontre à Nîmes :
Le premier dimanche du mois [juin 1915], je déjeunais au petit restaurant de La Grille, quand un caporal de la ligne se leva de sa table et m’aborda en me récitant une strophe de la « Chanson du Mal-aimé ». Je fus interloqué. Un deuxième canonnier-conducteur n’est pas habitué à ce qu’on lui récite ses propres vers. Je le regardais sans le reconnaître. Il était de haute taille et, de figure, ressemblait à un Victor Hugo sans barbe et plus encore à un Balzac. « je suis Léo larguier, me dit-il alors. Bonjour Guillaume Apollinaire ». Et nous ne nous quittâmes que le soir à l’heure de la rentrée au quartier.
Quelques mois après cette rencontre, Léo Larguier est envoyé sur le front de l’est. Il est blessé à la jambe gauche le 29 septembre 1915 à Perthès-les-Hurlus (Marne).
Évacué, il passe plusieurs mois à l’hôpital à Auch (Gers) et se rétablira. Il est cité : « Caporal très brave. Blessé le au moment où il relevait des blessés, en avant des premières lignes, sous de violents tirs de barrage ».
Nommé Sergent, Léo Larguier est démobilisé en 1919, fait Chevalier de la Légion d’Honneur puis commandeur de la Légion d’Honneur en 1950. Sa décoration lui sera remise par Roland Dorgelès.
De son expérience de la guerre, Léo Larguier en tire notamment deux œuvres : Le soldat inconnu (1939) et Les heures déchirées notes du front (1918).
Il décèdera le 31 octobre 1950 à Paris 6.
Dans Alcools, Guillaume Apollinaire consacre à Léo Larguier l’un de ses plus beaux poèmes.
Léo Larguier soldat mystique ô brancardier
Les vers du caporal plaisent au brigadier
Ce secteur 114 est-ce Arras ou peut-être
La ferme Choléra sinon le bois Le Prêtre
Ici la fraise est rouge et les lilas sont morts
La couleuvre se love en la paille où je dors
Quand s’éveille la nuit la Champagne tonnante
La nuit quand les convois traînent leur rumeur lente
À travers la Champagne où tonnent nos canons
Et les flacons ambrés
Et si nous revenons
Dieu Que de souvenirs
Je suis gai pas malade
Et comme fut Ronsard le chef d’une brigade
Agent de liaison je suis bien aguerri
J’ai l’air mâle et fier j’ai même un peu maigri
Des braves fantassins je connais les tranchées
Où les Gloires de pourpre aux créneaux attachées
Attendent que nos bleus les violent enfin
Au nez de Rosalie épouse du biffin
Êtes-vous en Argonne ou dans le Labyrinthe
Moi je ne suis pas loin de Reims la ville sainte
Je vis dans un marais au fond d’un bois touffu
Ma hutte est en roseaux et ma table est un fût
Que j’ai trouvé naguère au bord du Bras de Vesle
Le rossignol garrule et l’Amour renouvelle
Cependant que l’obus rapace en miaulant
Abat le sapin noir ou le bouleau si blanc
Mais quand reverrons-nous une femme une chambre
Quand nous reverrons-nous Mais sera-ce en septembre
Adieu Léo Larguier ça barde en ce moment
105 et 305 le beau bombardement
Je songe au mois de mars à vous à la tour Magne
Où est mon chocolat Les rats ont tout croqué
Et j’ajoute mon cher style communiqué
Duel d’artillerie à minuit en Champagne
Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913.
Sources :
Base Léonore
http://www.wikiwand.com/fr/Léo_Larguier
http://archives.paris.fr
Bibliographie :
Léo Larguier – La volupté du rêve – Vie et œuvre du poète Léo Larguier d’Alain Arthus. Éditions de la Fenestrelle, 2017.
Une réflexion sur « #ChallengeAZ Les plumes de la Grande Guerre : L comme Larguier »